Le cadran solaire de Plate-Rousset

Le cadran solaire de Plate-Rousset

Mesurer le temps : 
une très ancienne préoccupation de l’homme 
 
Un peu d’histoire.
Dés l'Antiquité́, le gnomon - tige droite plantée verticalement dans le sol -, permet, en n'importe quel lieu, d'observer le mouvement du soleil - ou de la lune -, et ainsi, avec le déplacement et la longueur de l'ombre, de se situer dans le temps.



Cadran2A.jpg

Au début du 15ème siècle, le gnomon - plus fréquemment nommé aujourd'hui style -, sera parallèle à l'axe de rotation de la terre. La science qui en découle, la gnomonique, liée à la connaissance et à l'usage de l'astronomie, va perfectionner l'art de tracer les cadrans solaires. Les avancées techniques se multiplient et dès le 16ème siècle on détermine exactement l'heure - 24ème partie du temps séparant deux passages du soleil au zénith. 
« Enseignées par les prêtres dans les séminaires et les collèges comme par les artilleurs du Génie, l'astronomie et la géométrie perspective permettaient aux hommes, à l'âge d'or de la gnomonique au 18ème siècle de se situer avec une exactitude de l'ordre de la minute dans l'espace et dans le temps ». (1) Durant les deux siècles suivants, l'Isère connaît une grande diffusion des cadrans solaires et la deuxième moitié du 18ème siècle est particulièrement florissante. 
Les cadrans sont installés sur des façades d’églises, de mairies ou de maisons de notables. Il s'agit d'un art populaire qui requiert un savoir-faire alliant art et techniques. 
Le cadranier, réalisateur du cadran, en outre d’être expert en gnomonique, doit être aussi maçon et fresquiste. Quelques-uns ont laissé leurs signatures comme Liobard ou Hyacinthe Pascalis à la fin du 18ème siècle, mais la plupart des cadrans ne sont pas signés. La complexité́ du décor, sa finesse d'exécution, les devises utilisées témoignent d'un certain rang social du commanditaire. 
En 1839, le Ministère de l'Intérieur recommande d’ajuster les horloges publiques sur les cadrans solaires, véritables instruments de mesure, qui donnent l'heure à la minute prés, au lieu où ils sont implantés, s'ils sont réalisés dans les règles.
Pourtant dès cette période, dans les villes, le déclin du cadran solaire s'amorce avec l'utilisation plus courante de l’horloge et de la montre. Il restera cependant utilisé dans les campagnes jusqu'à la fin du siècle. 
A Biviers, au 19ème siècle, les paysans conservent aussi l'habitude de « regarder les ombres portées sur les montagnes voisines, le Saint Eynard, et savent exactement l’heure qu’il est, d'une saison à l'autre, quand telle partie du rocher n'est plus éclairée ou l'est d'une certaine façon. On parle ainsi du buisson de cinq heures » (2) 
Avec l'arrivée du chemin de fer apparaît la nécessité de disposer d’un temps moyen valable pour l'ensemble du pays, ce qui sonnera la fin de l’usage courant des cadrans solaires. Le peu d'intérêt accordé aux cadrans solaires pendant tout le 20ème siècle, et jusqu'à une période récente, a malheureusement condamné à leur disparition bon nombre d'entre eux, soit par recouvrement, soit par un total manque d'entretien et de restauration. 

Cadran2b.JPG

Le cadran solaire de Plate-Rousset à Biviers
 
C’est au cœur de Biviers, un peu au dessus du hameau de Plate-Rousset - au n° 489 chemin du même nom -, que se situe le cadran solaire qui vient d'être restauré.
Il est installé sur la façade exposée plein sud, à environ 8 mètres de hauteur. 
La table est verticale, faite d’un enduit peint à la fresque, directement sur la maçonnerie. 
Il ne porte pas de devise, mais il est daté 1786, se situant ainsi dans la période où de nombreux cadrans sont peints en Isère par des cadraniers vraisemblablement itinérants. 
A l'intérieur du format général rectangulaire, les lignes horaires identifiées par des chiffres romains partent d'un croissant de lune qui partage la date en deux sections.
Le décor végétal est simple et léger, réalisé dans une couleur bistre/brun rouge plus ou moins soutenue. Au sommet du cadran, peu identifiable depuis le sol, deux yeux, un nez et une bouche, qui se prolonge en guirlande de feuilles, représentent le soleil de façon assez naïve. 
Ce cadran solaire, n’étant que légèrement protégé́ par la passée de toiture, a subi les outrages du temps, le soleil, le gel, la pluie... Sa hauteur sur la façade ne facilite pas les interventions de restaurations et ne peut les rendre fréquentes. 
« La peinture réalisée à fresque ou à mezzo-fresco est une « technique qui confère à l'œuvre une résistance mécanique importante et lui permet de persister malgré́ les intempéries qu'elle subit. Il n'est pas possible de reproduire cette technique lors de la restauration ». (3) Ceci induit une non-réversibilité́ matérielle de l'intervention de conservation-restauration pour préserver l'œuvre dans le temps.

Une restauration urgente et
une collaboration exemplaire de toutes les parties prenantes
 
 
L'état dégradé, constaté ces deux dernières années, a nécessité une restauration d’urgence.
 Claire Bigand, - restauratrice - a fait les constats suivants, avant et pendant les travaux:
 
« L'enduit de la table était très soulevé́ et lacunaire et la dégradation s'était accentuée rapidement. Les deux angles inferieures de la table très abîmés n'ont pu être restitués, le crépi fait il y a quelques années ayant déjà̀ obturé cet espace. Après un nettoyage très doux, le refixage entre la matière picturale déplaquée et le support a été́ réalisé par injections et par pression à la suite de tests permettant d'être au plus prés de la brillance ou de la matité́ d'une couche picturale globalement très usée au niveau de la table horaire. Les matériaux utilisés (eau de chaux, craie, sable...) tant pour la consolidation des zones déplaquées entre l'enduit et le support mural que pour le bouchage des zones lacunaires sont adaptés pour résister à la chaleur, la lumière et les intempéries. De la même façon, la retouche picturale n'est pas faite à l'acrylique qui se dissoudrait à la première averse. On ne peut échapper en ce cas à l'usage des matériaux inorganiques à base de silicates irréversibles. »



Cadran2c.png

Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipisicing elit. Porro labore architecto fuga tempore omnis aliquid, rerum numquam deleniti ipsam earum velit aliquam deserunt, molestiae officiis mollitia accusantium suscipit fugiat esse magnam eaque cumque, iste corrupti magni? Illo dicta saepe, maiores fugit aliquid consequuntur aut, rem ex iusto dolorem molestias obcaecati eveniet vel voluptatibus recusandae illum, voluptatem! Odit est possimus nesciunt.

La deuxième phase importante de la restauration a consisté en la repose du style, avec toute la précision nécessaire, pour que le cadran donne l'heure solaire avec exactitude.
Cette opération a été réalisée par Gérard Bal aidé par Gilbert Vincent.
 
 
Initiée par Art & Patrimoine à Biviers, cette restauration a été conduite en un délai très court et a montré une excellente collaboration entre toutes les parties-prenantes :

- les propriétaires, V. Caddeo, et G. Bal  qui ont immédiatement validé ce projet malgré son coût,
- le Comité de Coordination et d’Entraide, la Communauté de Communes le Grésivaudan qui ont apporté leur aide financière,
- la restauratrice, Claire Bigand qui a pu intervenir très rapidement,
- Cathie Becquaert, Gilbert Vincent qui ont apporté leur savoir faire pour le positionnement du style au midi solaire, les calculs de correction et les explications.
 
 
L’œil du spécialiste : passer de l’heure solaire à l’heure de nos montres
 
L’heure du cadran solaire n’est pas l’heure de nos montres Un cadran solaire donne l’heure solaire du lieu où il est construit. Il indique midi quand le soleil est au plus haut dans le ciel (zénith).
Mais l’heure de nos montres dépend de l’heure légale de référence qui est l’heure du temps moyen de Greenwich appelé Temps Universel (T.U.)
 
Pour avoir l’heure de nos montres à partir de l’heure du cadran il faut faire trois corrections :
- ajouter 1 h en hiver et 2 h en été
- enlever 23 mn dues au décalage de longitude de Biviers par rapport à Greenwich
- ajouter la valeur donnée par l’équation du temps qui peut aller jusqu’à ¼ h en plus ou en moins. En effet l’heure de nos montres considère un soleil dans le plan de l’équateur et une terre tournant uniformément autour du soleil. En réalité la terre tourne autour du soleil dans le plan de l’écliptique et d’un mouvement non uniforme (lois de Kepler) et on le sait, l’inclinaison du soleil varie tout au long de l’année.
 
Dans la figure jointe, la courbe du diagramme indique le nombre exact de minutes à ajouter à l’heure du cadran pour avoir l’heure de nos montres. Cette correction est donnée pour l’heure d’hiver. En régime d’heure d’été il faut de plus rajouter une heure. 

Cadrant2d.png

Diagramme de corrections du cadran solaire de Plate Rousset

 
 
Exemple :
S’il est 15 h au cadran le 21 août.
La correction lue est de 40 mn ; il faut rajouter une heure pour l’heure d’été.
La correction finale est donc de 1 h 40 mn.
A 15 h au cadran, il sera 16 h 40 mn à nos montres.
 
 
 
La devise, une véritable philosophie !
 
A Biviers - en l'état actuel des connaissances -, cinq cadrans solaires sont recensés mais un seul porte une devise :
 
« JUSTUS HOMO NON TIMET HORAM ABSCANDO 1833 » (L'homme juste ne redoute pas l'heure que je dérobe 1833).
 
Deux cadrans solaires accouplés disposés sur la façade principale tournée vers l'Est ont été́ répertoriés dans des inventaires anciens sur une autre maison de Plate-Rousset. Malheureusement, ils ont été́ recouverts par le crépi réalisé dans les années cinquante. Leur devise en était assez remarquable : 
 
«SUM GENITOR VERI, DOMITOR LIVORIS APERTI, INDEX ASTRORUM FILIUS ATQUE COMES ME SEQUOR ET FUGIO MEA PER VESTIGIA, NUMQUAM GUM SIM QUOTIDIE NASCOR ET INTEREO 1688 » (Je suis le Père de la Vérité́, le dompteur de l'envie démasquée, l'indicateur, le fils et le compagnon des astres. Je me suis et je fuis sur mes propres traces. Je n'existe jamais et cependant je nais et je meurs chaque jour.) (4)
 
 
 
Article rédigé par Danielle Bal et Marc Rondet
Art & Patrimoine à Biviers


Notes :
1- Extrait du préambule de l'inventaire des cadrans solaires en Isère conduit par l'Atelier Tournesol de 1992 à 1997.
2- Denis Coeur Questions/réponses sur l'histoire et le patrimoine de Biviers, juin 2017 
3- Claire Bigand Conservatrice-Restauratrice, Peintures murales et sculptures polychromes
4- Informations communiquées par Denis Coeur.