Histoire et patrimoine
Les chemins de notre histoire
Par nos chemins, toute l’histoire de Biviers et de ses hameaux défile. Son nom même en témoigne. Deuxième voie qui depuis La Tronche et Corenc court maladroitement par les coteaux du St-Eynard, au-dessus de l’antique voie romaine qui deviendra bien plus tard chemin royal, puis route nationale et route départementale. Pour rejoindre celle-ci, quelques méchantes et étroites voies déboulaient des coteaux. Un quadrillage qui n’a presque pas bougé depuis les temps médiévaux. Toute la vie d’une communauté de paysans est là.
Prendre le chemin du château, depuis la première motte féodale de Crêt Châtel au tournant de l’An Mil jusqu’à la Révolution. Quatre seigneuries se partageaient l’étroit territoire de notre commune : Montbives, Servientin, Franquières, sans oublier la Bâtie Meylan. Faire allégeance, régler son impôt en journées de travail, en grains ou en tombereaux de sable tiré de l’Isère. Chemins de labeur sur une terre ingrate, lacérée de torrents ravageurs, où seule la culture de la vigne a pu, dès le XIIIe siècle, nourrir son homme et apporter aussi leurs rentes aux seigneurs et domaines bourgeois. Peu d’élevage, quelques vaches, quelques moutons ou chèvres que certains menaient paître au bois. Une forêt réduite à bien peu de chose au milieu du XIXe siècle tant elle était surexploitée. Son lent retour après la Seconde Guerre mondiale marque a contrario la fin du monde paysan biviérois.
Chemins de malheurs par où la peste déferla au milieu du XIVe siècle. effaçant la moitié des Biviérois en quelques mois. Deux siècles seront nécessaires pour regagner la population perdue. Chemins des soudards du baron des Adrets en ce printemps 1562 qui vinrent incendier l’église du village. Chemins aussi pour partir à la guerre, aller donner son sang à Sedan, Verdun, Dunkerque ou Dien Bien Phu. Les Chabert, Charles, Guillerme, Chaix et bien d’autres familles du pays ont payé leur tribu. Combien d’épouses, mères ou sœurs travaillant aux champs, ont redouté de voir au loin sur le chemin s’approcher la silhouette du maire ou du curé porteurs de l’indicible nouvelle !
Chemins aussi d’un avenir meilleur. Terroir contrôlé depuis l’origine par des élites traditionnelles, la République et la laïcité mirent du temps à s’implanter comme nous le rappellent les luttes autour de l’école et des corporations religieuses au XIXe siècle. Temps nouveaux où les routes de l’industrie, celle du papier, de la chimie implantée de l’autre côté de la vallée, captent la main d’œuvre agricole et contribuent aux mutations de l’ancienne société terrienne. Nouveaux rapports sociaux, nouvelle solidarité aussi. Aux ouvrières nécessiteuses Le Repos de l’Ouvrière, installé sur le site actuel de l’établissement St-Hugues, offre à partir de 1920 un havre de paix et des soins appropriés.
Les chemins de la ville sont ceux qui ont sans doute le plus orienté l’histoire de notre commune. Rejoindre Grenoble, son marché, à pied, en calèche, en tram et bientôt en « voitures sans chevaux ». Y écouler vin et alcool, fruits et légumes. Régler ses affaires administratives ou judiciaires. S’y rendre aussi de plus en plus pour le travail, pour se former, se distraire aussi. A l’inverse, venir s’installer à Biviers. Hauts magistrats de l’ancien parlement de Dauphiné, hommes de lois, militaires, commerçants, artisans, puis industriels, médecins : l’élite sociale recherche ces coteaux proches de la ville pour échapper à ses bruissements et gouter les plaisirs d’un balcon ouvert sur les montagnes. Dès la fin du XVe siècle, les plus grands domaines fonciers associent demeures de plaisance terrasses et jardins. Cinq siècles plus tard, la banlieue résidentielle de qualité qu’est devenue Biviers s’inscrit toujours dans cette tradition. L’urbanisation a transporté la ville dans les anciennes campagnes, avec ses rythmes, ses modes de vies, ses cultures plus largement ouvertes sur le monde. Les chemins des Biviérois vont désormais d’un clic, d’un sifflement de réacteur, jusqu’au bout de la terre.
Denis Coeur, 31 mars 2019